Bienvenue chez Ed

Au fin fond de Novotel.

Le taxi s'arrêta devant la porte de l'établissement et le chauffeur pakistanais se retournant, prit le billet de 50 Livres Sterling que je lui tendais. Il consulta son compteur et me rendit 20 pence. Après un léger marchandage, je finis par rabaisser la course à 18 Pounds et nous sortimes du véhicule.
Après ces quatre jours de détente en Ecosse, Patricia et moi prirent une grande respiration pour se préparer à retourner au Pays de Novotel. Mais cette bouffée d'air nous retourna l'estomac.
Un relent de pourriture, d'égout et de chair en putréfaction s'échappait des portes vitrées pourtant fermées. Je ne pus retenir mon haut-le-coeur et je régurgitais le plat de lasagne que j'avais dégusté à midi. Patricia se précipita vers moi pour me soutenir, mais les fruits de mer qu'elle déversa devant moi lorsque les portes automatiques s'ouvrirent ne m'aidèrent que très peu.

Après s'être colmaté les narines avec un vieux chewing-gum, nous nous forçames à pénétrer dans le hall et à s'approcher de la réception. J'appelais Paul, le night audit, mais aucune réponse ne se fit entendre. En temps normal, j'aurais juste pensé qu'il se faisait son 17ème café noir, mais aujourd'hui, je fus pris d'un doute. Un telle odeur ne pouvait avoir pour cause que ses problèmes gastriques. Il y avait autre chose.
Nous comprîmes une fois dans le back-office.
Paul était là, sur sa chaise, les bras pendants, et ses tripes apparentes formaient des tâches sombres sur la moquette. C'est la comptable qui ne va pas être contente. On venait juste de refaire les sols de la réception.
Ne comprenant pas bien la situation, et guidé par un réflexe cleptomane, j'entrepris de le fouiller. Je ne découvris d'intéressant qu'un morceau de papier sur lequel étéit griffoné quatre numéros : 4675. Avec un peu de chance, il s'agissait de son numéro de carte de crédit.
Patricia me sortit de mes pensées :
- Jérôme, j'ai faim. J'ai plus rien dans le ventre, moi maintenant ! On va prendre un bout de quelque chose en cuisine ? Il y a quelqu'un, j'ai entendu du bruit.
- OK, moi aussi, j'ai un petit creux au ventre.
- C'est ton nombril.
- Ah oui, c'est ça... on y va ?

Nous n'ûrent le temps que de faire quelques mêtres, quand, sortant de toute part, apparût devant nous une bonne partie du staff.
Mathieu, Véronique, Jean-Philippe, Joseph, Florence, Catherine et Sibylle avançaient lentement vers nous, les bras ballants. Leurs yeux étaient blancs, leur peau semblait se détacher de leurs os, leurs dents se faisaient rares et leurs mouvement étaient désordonnés. Aucun d'entre eux ne semblait récupérable. J'eus tout de même une légère hésitation pour Florence dont le physique ne se différenciait que peu de l'ordinaire. Mais non, ils étaient tous morts et pourtant se dirigeaient inexorablement vers nous.
J'entrainais rapidement Patricia jusqu'au coffre de la réception. Elle m'interrogea dans la foulée :
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Il nous faut des armes !
- Pourquoi veux-tu qu'il y ait des armes à la réception ?
- On est à Bradford.
- Oh c'est vrai, pardon.

N'ayant que cela dans mon inventaire, je pensais tout de suite à utiliser le morceau de papier griffoné comme code pour le coffre, et mon intuition se montra payante. Dans un déclic, l'abattant s'ouvrit, nous faisant découvrir un handgun parabellum 9x9 et un shotgun 325 à 8 coups. Etant le héros de l'histoire, je pris le calibre le plus puissant et laissait à Patricia le pistolet. Et nous commençames à envoyer la purée.
- Patoue, vise la tête !
Elle arma son tir, mais je la retint de justesse.
- Pas la tienne, Patoue.
- Oh, pardon.

Le sang gicla, les os craquèrent, les boîtes crâniennes explosèrent, les cervelles et les entrailles se déversèrent... le festival !
Patricia fut à bout de munitions, et il ne me restait plus qu'une cartouche. En face, seule Sibylle était encore debout. Je la mit en joue, mais je ne parvenais pas à presser la détente. Nous nous entendions bien de son vivant. Je ne pouvait lui tirer ainsi dans la tête. Je lui perforais donc les abdominaux récemment musclés d'une volée de plombs mortelle.

Le calme enfin rétabli, Patricia et moi sursautèrent au cri aigu provenant du couloir du rez-de chaussée. C'était la voix de Sandra. Elle était encore en vie, nous devions la sauver ! Le hurlement se termina par un gargouillement et un rêle d'agonie. Tant pis pour le sauvetage.
Nous nous rendîmes tout de même sur les lieux pour évaluer les dégats mobiliers de l'appartement. Un tel carnage n'avait pas du beaucoup épargner les locaux. Mais de toute façon, maintenant, on n'entendra plus parler de la comptable, sauf peut-être si on retrouve les morceaux.
Sandra, du moins sa partie supérieure, était étendue sur le lit, baignant dans son sang et un peu de salive. La partie inférieure de son corps semblait être, elle, partie avec son meurtrier. Peut-être une forme de fétichisme corporel, qui sait ?

Patricia me fit remarquer une forme rectangulaire, plate et blanche, d'environ 21cm de largeur sur 29,7cm de longueur.
- C'est une feuille de papier, Patoue.
- Ah oui, pardon.
Ramassant la dite feuille, je constatais qu'il s'agissait d'une partie du journal intime de la défunte :

"Cher journal,

Aujourd'hui, Mamoune a trié, comme je le lui avais conseillé, les denrées du grand frigo. Il a tenu à gouter à tous les aliments pour vérifier leur fraîcheur. Toujours aussi professionnel, mon petit homme. J'espère juste qu'il n'attrapera pas de cochonneries qu'il risquerait de refiler aux autres.
Ah oui, ce soir était un grand soir pour Mamoune et moi. Il a triplé son record et m'a tenu en haleine pendant près d'une demi-heure. C'est comme s'il avait complètement changé."

Après un court silence, j'explosai :
- Bon sang, c'est bien ce que je craignais. J'avais pourtant dit à Sebastien de ne jamais goûter à la nourriture préparée par Gavin.
- Mon Dieu, mais que pouvons-nous faire, bon sang de bonsoir ?
- Déjà, tu peux arrêter de jouer comme Jean Lefebvre, ce sera un bon début.
- Désolé... et pour Sébastien ?
- On ne peut plus rien pour lui. Mais je pense qu'il est de notre devoir de l'empêcher de faire plus de dégats.
- Je n'te l'fais pas direu, con.
- Comme Yves Montand, c'est pas mieux non plus.

Nous nous rendîmes donc là où nous savions pouvoir le trouver, dans l'antre de la bête... les locaux réfrigérés. Mais une fois sur place, un dur choix se présentait à nous : le frigo ou le congel !
Ce n'est qu'après avoir perdu deux pièces d'1 pound à travers la grille des égouts que le hasard désigna le Grand Frigo.

Je me munis d'un désosseur de grande taille, donnait à Patricia un économe permettant aussi de tailler des zestes de citron, et nous prîmes une grande inspiration avant la bataille. Ayant omis la présence de l'odeur nauséabonde, nous recrachèrent en duo un peu de bile, et nous reconcentrèrent sur l'ennemi à abattre.
J'ouvris la porte d'un geste rapide et précis et découvrit... le ROD (repas du personnel) du lundi suivant. Me penchant pour contrôler le fond du frigo, je commis alors l'irréparable. Je mis un pied à l'intérieur.
Un cri furieux résonna alors et je le vis. Sébastien, que l'on ne reconnaissait que par le nom brodé sur son caleçon à coeurs roses, était déjà en étât de décomposition avancée. Et il semblait en proie à une folie furieuse. Sa vois rauque et caverneuse retentit :
- Et l'hygiène, alors. Pas de serveurs dans mon frigo !!!
Accompagnant le son de sa voix, il s'élança vers moi à une vitesse impressionnante. Mais je parvins à l'éviter de justesse grâce à la formation inculquée par mes maîtres de stage.
Le monstre bascula dans le frigo et s'écroula sur un miroir de gâteaux.

J'eus alors une idée. Rapidement, je débranchais le mico-onde, le rebranchais sur une batterie portative, y enfournait un cul-de-poule, regardais une pub Budweiser que j'adore à la télé du bar, revenait en courant et en réglant le thermostat à 375° et balançait le tout dans le frigo, fermant la porte d'un pied et passant la serpillère de l'autre.
La détonation fit trembler tous les murs de l'hôtel, nous sauva la vie à tous, mais nous fit perdre une conférence qui s'set plaint du bruit le lendemain.

Et c'est donc pour éviter à la terre de connaître à nouveau pareil désastre que je m'attèle aujourd'hui à améliorer la gestion des stocks au Novotel Bradford.